Source Database: 
NT2
Source Entry URL: 
Source Entry OAI-PMH Identifier: 
oai:nt2.uqam.ca:34578
Author(s) of the Source Entry: 
Gauthier, Joëlle
Source Entry Language(s): 
French
Description(s): 

2translation est une œuvre réalisée par Grégory Chatonsky en 2002 grâce au programme «Villa Médicis hors les murs» de l’Association Française d'Action Artistique (AFAA), sous l’égide du ministère français des Affaires étrangères.Lorsqu’il accède au site Web de 2translation, l’internaute doit d’abord cliquer sur les fragments de texte qui apparaissent au centre de l’écran pour les faire se succéder un à un. Les mots forment alors le texte suivant, servant de courte introduction à l’œuvre: «Un livre / Topology of a Phantom City / Deux langues / Two languages / Anglais / French / Plusieurs / Several versions / Synchronisées / Desynchronized / Un tempo». L’écran est divisé en trois parties: à gauche et à droite, deux larges bandes noires sont brisées par le mot «translation» écrit encore et encore au bas de l’écran, parfois à l’envers, parfois à l’endroit (effet miroir), avec des polices de grosseurs diverses (effets de superposition et de transparence). Le texte de l’introduction elle-même (en blanc) apparaît dans la section du centre, formant une bande plus mince. D’abord noire, cette dernière devient de plus en plus pâle au fil des clics de l’internaute, jusqu’à atteindre une nuance de gris très pâle qui rend difficile la lecture des derniers mots de l’introduction. Finalement, lorsque l’internaute clique sur le dernier fragment de l’introduction («Un tempo»), l’œuvre comme telle est lancée: l’écran, auparavant divisé en trois, se sépare maintenant en deux. Le mot «translation» constamment répété qui marquait le bas des bandes externes a disparu. Dans les deux moitiés de l’écran, des mots se succèdent rapidement en pulsant, plus ou moins transparents, semblant se rapprocher de plus en plus de l’internaute jusqu’à disparaître dans un ultime flash blanc. Une trame sonore composée par le duo électro britannique Autechre, formé de Rob Brown et Sean Booth, accompagne le tout. Une fois lancée, l’œuvre ne nécessite plus aucune interactivité de la part de l’internaute, qui devient alors simple spectateur.Les textes qui défilent mot à mot à l’écran sont empruntés à Topologie d’une cité fantôme d’Alain Robbe-Grillet (1976) et à sa traduction, Topology of a Phantom City. Les deux versions sont composées d’un nombre défini de phrases. En attribuant un numéro à chacune de ces phrases pour l’une et l’autre des versions, Chatonsky crée un espace où chaque phrase appelée au hasard entraîne en retour la phrase qui lui correspond numériquement dans l’autre version, en traduction. Par exemple, la phrase 233 en français, sélectionnée au hasard par le logiciel, appelle parallèlement la phrase 233 en anglais, puis la phrase 457, elle aussi citée aléatoirement, entraîne avec elle la deuxième phrase 457, etc. Or, la disparité entre les deux versions (française et anglaise) quant au nombre de phrases constituant le texte (990 contre 947) crée un effet de décalage. S’il y a bel et bien traduction numérique, la correspondance réelle se perd. Dès lors, à travers le dispositif mis en place, Chatonsky pose la question: «Par ce redoublement de la traduction, la correspondance se retrouvera-t-elle finalement?» (Chatonsky, 2002). Autrement dit, en laissant les mots empruntés à l’univers de Robbe-Grillet former une nouvelle toile bilingue, le sens finira-t-il par resurgir?2translation s’inscrit ainsi dans la série de travaux et de réflexions menés par Chatonsky sur la question de la «tra(ns)duction». La «tra(ns)duction», définie comme «un feedback permanent entre ce qu’il y a à traduire et le produit de la traduction» (Chatonskty, 2009), dépasse à la fois la simple traduction et la transduction, et s'attarde à la notion de «flux»: «c'est cette boucle qui crée l'expressivité particulière du numérique et qui témoigne qu'il n'y a pas de message original, pas de sens à préserver face au non-sens, pas de discipline à respecter, mais simplement l'écoulement des flux d'informations» (Chatonskty, 2009). La signification naît d’un effet de retour de la traduction vers l’original, de l’original vers la traduction, et ainsi de suite. Elle n’est pas instantanée et ne nécessite aucune «identification cathartique» (Chatonskty, 2009). En ce sens, le choix de Topologie d’une cité fantôme de Robbe-Grillet comme matière première de l’œuvre n’est pas innocent. Robbe-Grillet explore en effet déjà dans son roman la question du retour, de la marque, de la topographie des traces de mémoire qui forment ce que Chatonsky appelle le «flux»:Une ville perdue, qui aurait abrité sur un même territoire plusieurs civilisations successives - répétitives ou contradictoires - déposant chacune ses strates (sa topographie particulière, son histoire jalonnée de cataclysmes naturels ou de massacres, ses textes sacrés, sa panoplie d'ustensiles et de signes), donne lieu ici à une sorte de coupe verticale où les différents systèmes de traces révèlent l'espace propre de chaque âge. Mais les fragments se chevauchent, s'interpénètrent, se détruisent mutuellement... Théâtres, prisons, harems, temples et lupanars semblent cependant à l'archéologue, qui s'avance pas à pas dans ce dédale mobile à transformations soudaines, contenir (cacher ou bien au contraire, le plus souvent, mettre en scène) le même crime secret […] (Robbe-Grillet, 1976).De l’un à l’autre, de Robbe-Grillet à Chatonsky, il y a identité de thèmes et, dans une certaine mesure, de procédés. Ce qui est retraduit d’une civilisation à l’autre de chapitre en chapitre chez Robbe-Grillet est repris du français à l’anglais puis de l’anglais au français à travers les mots qui pulsent à l’écran chez Chatonsky, laissant émerger peu à peu le sens.Bref, 2translation est une œuvre significative pour comprendre l’esthétique du flux et de la tra(ns)duction qui ordonne la démarche artistique de Chatonsky. Même si la puissance originale du texte de Robbe-Grillet se perd quelque peu dans la difficile lecture mot à mot exigée de l’internaute, la force du concept de Chatonsky permet de donner corps au texte à un tout autre niveau.