Source Database: 
NT2
Source Entry URL: 
Source Entry OAI-PMH Identifier: 
oai:nt2.uqam.ca:34465
Author(s) of the Source Entry: 
Gaudette, Gabriel
Source Entry Language(s): 
French
Description(s): 

Patchwork Girl, or A Modern Monster est un hypertexte de fiction réalisé par Shelley Jackson à l'aide du logiciel Storyspace. Basé entre autres sur le roman classique Frankenstein or The Modern Prometheus de Mary Shelly, Patchwork Girl relate l'existence d'un monstre de sexe féminin qu'aurait créé Mary Shelley en utilisant la même technique que celle employée dans le docteur Frankenstein dans son roman. La narratrice de Patchwork Girl est donc constituée à partir de morceaux de plusieurs cadavres, pour la plupart des femmes, bien qu'une partie de son intestin provienne d'une vache et qu'un de ses membres ait appartenu à un homme. Cette créature rapiécée survit tant bien que mal à travers les époques, en Europe comme en Amérique, négociant entre les identités multiples qui habitent son corps et son esprit (les anciens propriétaires de ses membres se manifestent au travers de la créature) et contre l'opprobe sociale dont elle est victime en raison de son apparence. Certaines parties de l'oeuvre présentent des séquences linéaires qui permettent de suivre assez aisément son récit, mais il existe également des pans de sa vie et de sa pensée interne que le lecteur ne pourra découvrir qu'au terme d'une recherche hasardeuse et labyrinthique.Patchwork Girl se divise en cinq sections: a graveyard, a journal, a quilt, a story et broken accents. A graveyard sert en quelque sorte d'introduction à l'oeuvre et au récit, puisque c'est dans cette section que sont listées et décrites les différentes parties du corps qui composent la créature. Pour chacune d'entre elles, une courte description de la personne à qui a appartenu l'appendice est fournie, ce qui compose un portrait fragmenté et souvent contradictoire des différentes personnalités animant et cohabitant à l'intérieur de la créature. Les sections a journal et a story présentent les péripéties de la créature, accompagnées occasionnellement de digressions par la narratrice quant à sa condition et sa constitution, ainsi que de séquences oniriques. La section a quilt sert en quelque sorte de commentaire critique sur la création de Patchwork Girl et regroupe à la fois des réflexions sur la création hypertextuelle et la narration fragmentée ainsi que des mentions directes d'ouvrages de fiction et de référence dont s'est inspirée Jackson lors de l'écriture de son texte. On y retrouve: Heart of Darkness de Joseph Conrad, The Patchwork Girl of Oz de L. Frank Baum, Frankenstein de Mary Shelley, Body Criticism: Imaging the Unseen in Enlightenment Art and Medecine et de nombreuses autres citations. La dernière section, broken accents, s'ouvre sur une image de "cartographie du cerveau" dont les différentes sections contiennent notamment des textes qui prennent la forme de dialogues entre l'écrivaine et des citations de plusieurs ouvrages (dont Mille Plateaux de Gilles Deleuze et Félix Guattari), ainsi que des renvois aux autres sections de l'oeuvre.La navigation dans l'oeuvre est principalement effectuée à tâtons. De nombreux outils d'assitance à la navigation sont offerts, mais force est de constater que toutes les options de navigation proposées par le logiciel Storyspace ne parviennent pas à rendre la tâche plus facile. Les hyperliens ne sont pas indiqués automatiquement dans les lexies mais il est possible pour l'utilisateur de faire apparaître les zones de textes qui contiennent des hyperliens en tenant enfoncée la touche control de son clavier. Plusieurs options de navigation sont offertes afin de visualiser l'enchaînement des lexies[fn]Le terme «lexia», emprunté à Roland Barthes qui introduit les lexies dans son essai S/Z, est utilisé par les théoriciens de l'hypermédia (notamment par George Landow dans son essai Hypertext 3.0, Critical Theory and New Media in an Era of Globalization; 2006, John Hopkins University Press) afin de désigner un segment de texte lié à d'autres par hyperliens. Nous emploierons ce terme afin de désigner l'ensemble du texte présent dans une fenêtre de navigation au sein de Patchwork Girl.[/fn]: la vue «map» permet de faire apparaître un schéma en arborescence qui indique la position de la lexie apparaissant à l'écran ainsi que les liens accessibles à partir de celle-ci; la vue «treemap», qui présente les lexies sous la forme d'un diagramme; la vue «outline», qui permet de voir les lexies sous forme de liste à puces; et la vue «chart», qui présente l'arborescence des lexies. Malgré la présence de ces nombreuses fonctions, il est très difficile de s'orienter dans la lecture de l'oeuvre, comme le rapporte Elizabeth Joyce: «Even by taking the map's indicateed directions, the links from page to page disrupt the narrative, creating a text based on random interlocking fragments» (Joyce, 2003: 39-52). Ceci a comme conséquence de favoriser l'abandon d'une tentative de lecture totalisante et de nécessiter de la part du lecteur qu'il tisse lui-même ses liens, formant lui-même son parcours et reconstituant à sa manière un corps du texte à partir des différentes lexies qu'il rencontre.Cette approche de la lecture, où il faut tisser, reconstituer et assembler des fragments d'un texte plus large, n'est d'ailleurs pas anodine. Elle amène le lecteur à «créer son texte», tout comme le personnage principal de Patchwork Girl a été créé de toutes pièces (voir la section «citations» de la présente fiche). Le travail d'exploration et la constitution par le lecteur à la fois d'un agencement de récit et d'un portait de personnage à partir d'un corps de texte étalé est en lien direct avec la thématique de l'identité diffractée mais aussi avec celle de l'écriture et de la lecture d'un hypertexte de fiction. Le texte fracturé est semblable à notre propre identité - complexe, souvent insaisissable et en perpétuel mouvement puisque tiraillée entre ipséité et mêmeté. Comme l'affirme George P. Landow: «Hypertext, Jackson permits us to see, enables us to recognize the degree to which the qualities of collage - particularly those of appropriation, assemblage, concatenation, and the blurring of limits, edges, and borders – characterize a good deal of the way we conceive of gender and identity» (Landow, 1996). L'impossible cartographie du texte et le sectionnement du corps, qui occasionne des permutations nombreuses dans les illustrations apparaissant périodiquement dans l'oeuvre, démontrent à quel point les différentes parties d'un corps, d'une personne et d'un hypertexte sont semblables en ceci qu'il est vain de vouloir les représenter dans leur entièreté par le biais d'une carte. Pour les découvrir, il faut les parcourir de l'intérieur.L'utilisation des possibilités de l'hypertexte par Shelley Jackson dans Patchwork Girl sert admirablement bien son intention de déconstruire les préconceptions d'unités compréhensibles que l'on attibue traditionnellement au texte littéraire et à l'identité. Un certaine forme de flou identitaire est amorcé dès la première page de Patchwork Girl. Celle-ci est coiffée du nom de Shelley Jackson mais il est aussi précisé un peu plus bas que l'oeuvre est «by Mary/Shelley, & Herself», laissant donc croire que l'hypertexte a été écrit par l'auteure de Frankenstein, Jackson et la créature narratrice du texte. Dans une présentation livrée au Massachussets Institute of Technology, Jackson pousse encore plus loin le jeu identitaire, sa présentation s'ouvrant sur une déclaration pour le moins amusante: «I expect there are some of you who still think I am Shelley Jackson, author of a hypertext about an imaginary monster, the patchwork girl Mary Shelley made after her first-born ran amok. No, I am the monster herself, and it is Shelley Jackson who is imaginary, or so it would appear, since she always vanishes when I turn up. You can call me Shelley Shelley if you like, daughter of Mary Shelley, author of the following, entitled: Stitch Bitch: or, Shelley Jackson, that imposter, I'm going to get her» (Jackson, 1997). Les différentes sections de sa présentation débutent par des affirmations négatives qui peuvent être considérées comme son «manifeste pour l'hypertexte littéraire et identitaire»: "We’re not who we say we are [...] I’m not where you say I am [...] You won’t get where you think you’re going [...] It’s not what we wish it were [...] I’m not where you say i am [...] We don't think what we think we think [...] It’s not what it says it is [...] She’s not what she says she is [...] I’m not what you think I am [...] We don’t say what we mean to say [...] We are not who we wish we were [...] It’s not all you think it is [...] It was not what they said it was [...] You’re not where you think you are" (Jackson, 1997). Cet enchaînement de déclarations qui peuvent sembler stupéfiantes, voire insensées pour les non-initiés, sonne toutefois assez juste à l'oreille de ceux et celles qui ont fait l'expérience de Patchwork Girl; cette oeuvre permet de démontrer que ce que déclare l'artiste est plus vrai que ce qu'on veut bien généralement admettre.