Avec in absentia, J.R. Carpenter revient dans son quartier de prédilection: le Mile End de Montréal. Bénéficiant de contributions textuelles de Lance Blomgren, Colette Tougas, Andy Brown et Daniel Canty, le projet propose une vision plurielle et sans complaisance d'un quartier en train de s'embourgeoiser. Tout comme cela a été le cas avec Entre ville, l'accent est mis sur les histoires quotidiennes du quartier grâce à l'interface intuitive fournie par Google Maps (sur le mode cliquer-tirer). Toutefois, contrairement à Entre ville, l'attention n’est pas particulièrement portée sur la ruelle d’adoption de la poète, mais sur le Mile End en général, sur ces vies et ces endroits particuliers du quartier qui commencent à disparaître au profit de projets d’urbanisme qui ne prennent pas nécessairement en compte la parole des citoyens. Si Entre ville poussait l’idée d’une représentation intime du lieu, de sa construction à force de lectures et de marches, in absentia pose plutôt un questionnement sur les traces que laissent les gens lorsqu’ils sont délogés, disparaissant avec une part de la vie du quartier. Mais l’absence, comme le suggère ce projet, permet de faire émerger le sens inédit d’un lieu. On peut dire qu'in absentia pose l’urgence de laisser une trace avant de disparaître soi-même; sur fond de Google Map, les textes du projet in absentia font réfléchir sur ce qui fait véritablement une cartographie, peut-être plus subjective qu’objective.Les textes sont dispersés dans cinq sections: à louer, à vendre, perdu, trouvé, vide et home. Sous le titre à louer, l’internaute peut lire des textes sur les éléments à considérer avant de louer un appartement. On trouve aussi dans cette sectionn un texte de Lance Blomgren qui prend la forme d’une annonce de location: «Appartement pour professionnels. Bail mensuel. Loyer dû le premier du mois. Sans exception. Mardi, jour des ordures, vendredi, le recyclage. Ni musique forte ni barbecue. Permission préalable de l'administration requise pour party et réunions. Pas de lessive après dix heures du soir.» Aussi, des textes de Colette Tougas (datant de 1976) relatent, par l’entremise de lettres envoyées à son propriétaire, les souvenirs d’un premier appartement. Dans la section à vendre, on peut lire des extraits des 55 pieds du géomètre de Daniel Canty qui font part de diverses mésaventures avec le propriétaire - thème que l'on retrouve aussi du côté de Carpenter, en plus d’une histoire de rachat d’immeuble et d’éviction. Dans perdu, on retrouve des amis lors d’une soirée festive sur la rue Saint-Viateur; des rues barrées pour cause de tournage; une bande d’amis disloquée après que leur immeuble soit passé au feu... La section trouvé propose quant à elle de courts textes de Carpenter, Blomgren et Tougas évoquant le sentiment d’appartenance au quartier, ne serait-ce qu'à travers le bien-être ressenti au retour d'un voyage ou encore par le biais d'une odeur provenant de la ruelle…Vide expose dans une même ligne de pensée ce que l’on veut oublier du quartier, cette part d’effacement évoquée par le titre : le nouveau propriétaire qui se promène torse nu dans la cour, le mauvais entretien du logement, etc. Un extrait de The Mole Chronicles d’Andy Brown met en scène un voisin qui semble avoir un passé louche: «We read into his presence what we want to forget.»L'internaute trouvera aussi, en cliquant sur le lien home, diverses informations concernant le lancement de l'oeuvre in absentia. Conçue dans le cadre de Dis/location: projet d'articulation urbaine 2008, l’œuvre de J. R. Carpenter témoigne entre autres de l'effacement des lieux de rencontre au sein d'un quartier: le parc sans nom, situé entre les rues Saint-Laurent et Clark et ayant accueilli le bureau mobile de DARE-DARE durant deux ans, a d'ailleurs été converti en aire de stationnement.