Source Database: 
NT2
Source Entry URL: 
Source Entry OAI-PMH Identifier: 
oai:nt2.uqam.ca:34574
Author(s) of the Source Entry: 
Brousseau, Simon
Source Entry Language(s): 
French
Description(s): 

253, or Tube Theatre a été mis en ligne par Geoff Ryman en 1996. Par ses caractéristiques formelles, cet hypertexte de fiction se rapproche à plusieurs égards des oeuvres des membres de l’OULIPO. En effet, l’oeuvre présente une contrainte formelle liée au nombre 253. Celle-ci contient 253 fragments textuels qui sont mis en relation par des hyperliens. Comme nous indique l’auteur dans la préface de l’oeuvre, chacun de ces fragments contient, si l’on exclut les sous-titres, 253 mots. Le concept de l’oeuvre est le suivant : il s’agit de la description, sous une forme qui rappelle celle du catalogue, de 253 individus qui sont dans un métro de Londres, soit sept wagons contenant chacun 36 personnes, plus le conducteur du train. De façon systématique, chaque fragment décrit un passager en l’abordant selon trois points de vue : l’apparence extérieure de l’individu, son intériorité, ce qu’il fait ou pense.L’oeuvre de Ryman constitue un jalon important dans l’émergence des nouvelles textualités, notamment à cause de la manière admirable par laquelle l’auteur y utilise le support hypertextuel afin de concevoir un récit qui se déploie davantage au niveau spatial que temporel. En effet, l’ensemble des fragments de l’oeuvre se déroulent dans un laps de temps très court, c’est-à-dire le temps d’un voyage en métro. L’ampleur de l’entreprise de Ryman vient des liens (tant hypertextuels que sociaux) qui sont développés entre les 253 personnages qui peuplent l’oeuvre. Comme l’intrigue est inexistante, c’est bien l’exploration des individualités qui se côtoient dans l’œuvre qui rend celle-ci fascinante. L’auteur y établit un réseau complexe de relations interpersonnelles. Par exemple, des collègues s’en vont au boulot, chacun dans un wagon différent. Il est également fréquent que des personnages fabulent à propos des gens qu’ils rencontrent lors du trajet. Il semble d’ailleurs assez juste de dire que le thème central de l’oeuvre est l’expérience du quotidien de la multitude anonyme qui peuple la ville. Les personnages sont rarement isolés et il est fréquent que ceux-ci connaissent, de près ou de loin, plusieurs autres personnages à bord du train. Ces liens sociaux sont toujours matérialisés par un hyperlien qui permet la navigation d’un fragment à l’autre, rendant immédiatement perceptible les relations des différents personnages de l’oeuvre.Une mise à mal du récit traditionnelL’oeuvre de Ryman a ceci de particulier qu’elle désamorce dès l’entrée en fiction toute forme d’intrigue ou de suspense. Dans l’introduction, le lecteur est informé du fait qu’à la fin du parcours, le train dans lequel les personnages se trouvent déraillera. De plus, le lecteur peut accéder directement à la description de cette scène finale. Ainsi, l’expérience de lecture de 253 or Tube Theatre trouve son intérêt dans l’exploration des divers individualités qui peuplent l’oeuvre et non pas dans le suivi du déroulement d’une intrigue. La notion de récit étant évacuée par l’absence d’intrigue et même de succession d’événements, la lecture de l’oeuvre relève davantage de l’exploration que de la progression. Un autre intérêt à lire 253 or Tube Theatre se trouve dans l’étonnante représentation de l’individu contemporain qui s'y manifeste. Le métro, moyen de transport urbain par excellence, est traité dans ce texte de manière à montrer la cohabitation de citoyens aux existences totalement différentes. La solitude, la souffrance, mais aussi l’incommunicabilité sont mis à l’avant plan dans cette oeuvre. Quoique d’une manière quelque peu schématique, chaque personnage ayant sa propre fiche descriptive, Ryman propose dans cette oeuvre un large éventail des strates de la société : professionnels, étudiants, clochards, artistes se côtoient dans le train et nous pouvons dire que ce train est une métaphore de la vie qui suit inexorablement son cours. Selon cette interprétation, il se dégage de 253 une vision quelque peu fataliste de la vie, puisque nous savons dès le départ que les personnages avancent vers une fin prédéterminée, l’accident qui est le point culminant de l’œuvre.Bien que les diverses classes soient représentées dans l’oeuvre, il est notable que les artistes y occupent une place privilégiée. Nombre de personnages touchent de près ou de loin à la création artistique. Par exemple, le quatrième passager est occupé à fabuler un autre dénouement au film An American Werewolf in London de John Landis, tandis le onzième passager est un pianiste. La 33e passagère, quant à elle, est plongée dans ses réflexions sur l’art moderne, réfléchissant à propos de l’oeuvre de Kandinsky. Tandis que ce personnage réfléchit sur la possibilité que Kandinsky ait été ou non synesthésique, le passager d’à côté pense à la thèse qu’il a envie d’écrire sur l’oeuvre de Dickens. Au fil de l’oeuvre, cette accumulation de personnages artistes entraîne un étrange effet de lecture en créant une brèche dans l’illusion réaliste mise en place dans l’oeuvre. En effet, il est clair que les artistes sont surreprésentés dans l’œuvre de Ryman, laissant entrevoir un certain parti pris de l’auteur ou, à tout le moins, sa sympathie envers les créateurs. Cette présence marquée des artistes dans l’œuvre introduit également une dimension essayistique au discours qu’on y trouve puisqu’il est fréquent que ces personnages soient plongés dans des considérations artistiques.Au-delà de ces nombreux intérêts que présente l’oeuvre de Ryman, il est pertinent de rappeler son importance dans l’émergence des nouvelles pratiques d’écriture sur le Web. Elle constitue en effet l’une des plus belles réussites des débuts de l’écriture d’hypertexte de fiction, joignant l’exploration formelle rendue possible par l’hyperlien à une qualité d’écriture indéniable.