Source Database: 
NT2
Source Entry URL: 
Source Entry OAI-PMH Identifier: 
oai:nt2.uqam.ca:34480
Author(s) of the Source Entry: 
Gauthier, Joëlle
Source Entry Language(s): 
French
Description(s): 

Legato est un tableau animé conçu par l’artiste pluridisciplinaire français Nicolas Clauss sur la musique du compositeur Thomas Le Saulnier. Lorsque l’internaute active l’œuvre, trois petits danseurs apparaissent à l’écran, dans une fenêtre rectangulaire horizontale allongée. Deux des danseurs sont immobiles mais le troisième, qui se déplace en suivant les mouvements du curseur de l’internaute, effectue des mouvements gracieux au son d’une pièce de musique classique pour violoncelles. Lorsque l’internaute approche son danseur d’un des autres personnages, celui-ci quitte son immobilité et entre dans la danse. Dès lors, si l’internaute se déplace suffisamment lentement, l’autre danseur se met à le suivre. Toutefois, si l’internaute effectue un déplacement rapide, il peut abandonner l’autre danseur, qui redevient alors immobile. Il est possible pour l’internaute de contrôler son danseur de manière à entraîner à sa suite les deux autres personnages à la fois. L’internaute peut ainsi faire danser les avatars seul, en duo ou en trio.Toutefois, les déplacements de l’internaute ne font pas que contrôler les mouvements des danseurs; chacun de ses déplacements influe aussi sur la superposition des voix instrumentales entendues. Lorsque le danseur de l’internaute est seul au centre de l’écran, seul le thème principal se fait entendre. S’il se rapproche de la gauche de l’écran, une deuxième voix instrumentale s’ajoute momentanément, constituée d’une variation pizzicato sur le thème principal. S’il se rapproche de la droite, une autre voix instrumentale s’ajoute aussi, présentant cette fois une variation non pizzicato sur le thème principal. De plus, chacun des deux autres danseurs est associé à une voix mélodique supplémentaire. En s’activant, celui de gauche déclenche une voix mélodique solo aux accents tragiques, alors que celui de droite laisse entendre une voix mélodique plus emportée jouée par deux violoncelles.Au plan de la programmation, chacun des mouvements constituant les diverses voix instrumentales de l’œuvre est conçu de manière à reprendre chaque fois à l’endroit où il avait été interrompu précédemment lorsque l’internaute le réactive. De plus, chaque mouvement est suffisamment long pour éviter les répétitions lors d’une séance de navigation normale. Ainsi, la diversité des jeux de superposition permis par la multiplicité des possibilités (activation d’une ou de deux lignes mélodiques et/ou de l’une ou l’autre des variations sur le thème principal à des moments divers de chaque mouvement) permet de faire varier pratiquement à l’infini les expériences d’écoute.Si l’aspect musical de l’œuvre est déjà à lui seul suffisamment intéressant pour retenir l’attention de l’internaute (la composition de Thomas Le Saulnier est en effet impeccable), l’aspect visuel du «tableau» à proprement parler n’en est pas moins lui aussi remarquable. Car, avant de se tourner vers l’hypermédia, Nicolas Clauss était peintre; il ne se considère pas comme un programmeur et n’utilise pas la technologie comme une fin en elle-même, mais plutôt comme un moyen d’exprimer des idées et des sentiments picturaux classiques (Simanowski, 2003). Bref, ses œuvres sont souvent conçues comme des «tableaux animés», plus proches des toiles classiques affichées dans les musées que d’une esthétique net.art contemporaine.Dans Legato, on remarque immédiatement l’ambiance particulière du tableau, suggérant un univers romanesque éloigné, perdu dans le rêve. Le sol sur lequel évoluent les danseurs est marqué de caractères d’imprimeries géants à moitié effacés, apparaissant comme s’ils avaient été frappés sur un papier délicat par une ancienne machine à écrire sans encre. Au travers, on devine même quelques inscriptions tracées à la main à l’encre bleue, comme avec une plume plutôt qu’un stylo moderne. Parallèlement, les personnages eux-mêmes semblent avoir été tracés à la plume ou avec un fin pinceau, à peine plus développés que des bonhommes-allumettes. Déjà, le visuel de base du tableau, suggérant une époque passée, répond au classicisme de la composition musicale qui l’accompagne. De plus, un voile de brouillard masque en permanence le tableau, suggérant un certain éloignement, comme si nous regardions vers le passé plutôt que dans le présent. Lorsque le danseur de l’internaute s’approche des côtés de la fenêtre, l’apparition de tourbillons de feuilles tantôt rouges, tantôt jaunes renforce aussi cette impression: le monde dans lequel évolue les personnages de Legato n’est plus un monde de printemps, ni même d’été, mais d’automne, presque déjà disparu sous les neiges de l’hiver. Un dernier regard sur une dernière danse solennelle surgie du passé, au rythme d’une musique étrangement tragique.L’œuvre de Nicolas Clauss et du compositeur Thomas Le Saulnier s’avère ainsi d’une grande finesse, créant une réaction esthétique forte chez ceux qui en font l’expérience. Il s’agit aussi d’une œuvre qui a été largement adoptée par les médias de masse, recommandée dans les pages de quotidiens comme Le Matin Semaine ou The Independant, transcendant ainsi la barrière invisible (de plus en plus fragile, mais quand même présente) entre le monde de l’art hypermédiatique et le grand public.