Source Database: 
NT2
Source Entry URL: 
Source Entry OAI-PMH Identifier: 
oai:nt2.uqam.ca:34524
Author(s) of the Source Entry: 
Paris, Chantal T.
Dubé, Sandra
Source Entry Language(s): 
French
Description(s): 

Saving the Alphabet est fiction narrative hypermédiatique qui fonctionne sur le principe de l’abécédaire. Cette création a été réalisée par Alan Bigelow, un artiste œuvrant  dans le domaine de la littérature numérique. Saving the Alphabet est une animation Flash faisant intervenir du texte, de l'image et du son. Son histoire raconte la disparition de l'alphabet, les voyelles et les consommes ayant été subtilisées une à une par la «Corporation». Cette conspiration est le fruit d’une alliance entre l’entreprise et le gouvernement. L'oeuvre présente un menu de navigation divisé en vingt-six sections: les caractères de l’alphabet. Ceux-ci sont cliquables et lorsque l’internaute les activent, un court texte, construit le mode du récit à tiroirs, apparaît et dévoile leur contexte de disparition respective.L'interactivité de l'oeuvre est simple mais elle sollicite fortement l’attention et l’engagement de l’internaute. D’entrée de jeu, elle commence sur l’énoncé «Is your computer’s sound on? GO». L’internaute doit donc être à l’écoute et cliquer sur GO pour entrer dans l’expérience de l’oeuvre. Ce faisant, il se trouve plongé dans un environnement visuel, sonore et sémantique austère — fond noir, résonances électrominimales, intrigue de science-fiction. Formellement, l’œuvre donne à voir deux colonnes constituées chacune de treize cercles, dans lesquels figurent les lettres de l’alphabet. Au bas de cette structure, un onglet contient le mot «reset». En cliquant sur les caractères, l’internaute génère une série d’actions en chaîne: la lettre activée apparaît et son «corps» est animé d'une multitude du même caractère de formes diverses. Cette lettre géante est traversée par un texte narrant l’histoire de sa disparition. Puis, dans un effet de fondu, elle s’évanouit rapidement pour laisser place au texte, s'effaçant dans la même foulée du menu de navigation. S'il s'agit de lettres composant le mot «reset», elles s'effacent également du bouton «reset» en bas du menu.Après quelques manipulations, l’internaute réalise ce qui est en jeu: les lettres actionnées sont graduellement soustraites de tous les encarts textuels, ne laissant visibles que celles qui n'ont pas été encore été touchées, de même que les signes de ponctuation. Ceci rend la lecture de moins en moins intelligible. Après une navigation complète, tous les mots ont disparu. Agir localement sur une lettre revient ici à intervenir sur l’ensemble du récit. Car les pertes consécutives opèrent sur le texte en cours de consultation, sur ceux visités précédemment et affectent également ceux à ouvrir. L’internaute, par ses actions, devient un agent destructeur malgré lui. En cours de trajet, l’internaute peut tenter différentes stratégies pour contenir l’épidémie. S’il clique sur la flèche retour, il sort littéralement de l’œuvre. Il est donc impossible de revenir en arrière. S’il appuie sur «reset», il régénère le texte de certaines vignettes, mais sur un mode aléatoire qui ne restitue que des bribes de l'histoire dans le désordre. Une lecture rapide permet d’aller plus loin dans le récit, mais ne permet pas de se rendre jusqu’à la fin de l’alphabet car le texte est fugace. Il est possible d’effectuer une navigation non séquentielle, bien que le dispositif invite à une lecture de gauche à droite, du début vers la fin du lexique. Les lettres sont d’ailleurs dérobées dans l’ordre: la première à disparaitre est A et ainsi de suite. Si l’internaute saute des lettres, il manque des parties de l’histoire, mais il sauve celles-ci de leur disparition. D’une manière ou d’une autre, il est donc impliqué dans un système de perte qui procède d'une inévitable coupure des mots, des phrases et/ou de l’histoire.Les modalités esthétiques de l’oeuvre font échos à son contenu, le mettent littéralement en branle. Son récit relate les faits, les circonstances et les effets du vol du langage par la Corporation, lettre par lettre. À titre d’exemple, la disparition du C est expliquée comme suit: «Without C, the Corporation had no first letter for themselves, and no identity. Now they know who they are». Celle du E est relatée ainsi: «Another vowel is missing! We are trying to express our outrage, in written and oral form, but we are at a loss for words». Le vol du V est narrée ainsi: « It was a few days before we noticed V was lost. Someone found a missing letter in the New York Time, crossword puzzle and checked with the editors. The word was VERITY». Le texte s’exprime au «nous» — une communauté, un peuple anonyme — mais celui-ci n’inclut manifestement pas l’internaute. La dynamique de l’œuvre suppose plutôt que celui-ci participe aux actions de la Corporation, en l’intégrant au processus de destruction. Dans le discours tenu par l’histoire, on perçoit une critique sur les dérives de la culture, des communications et de la politique contemporaines, et à travers son activation, une dénonciation de nos implications dans ces systèmes. Sur le site de l’artiste, le titre de l’œuvre est suivi de la mention «The evolution of langage in a digital age…». Cette annotation paradoxale, on le comprend après navigation, précise la portée réflexive de l’œuvre en regard des usages et perversions du langage en notre ère numérique, pointant les enjeux collectifs et individuels qui s'y rattachent.Saving the Alphabet joue sur deux plans. De prime abord, l'oeuvre donne l’illusion d’un pouvoir à travers l’action, alors que dans les faits, agir affaiblit le langage alphabétique. Les repères s’amenuisent pour faire place à un texte fragmentaire. Cette lecture parcellaire devient déchiffrage; l’écriture devient un langage typographique, subjectif, projectif. Dès lors, c’est un paradigme plus idéographique qui s'installe, celui de l’imaginaire, de la mémoire. Pour l’internaute, sauver l’alphabet consiste à cesser son activité, à sortir du système. Cette action passe par la conscience de la perte en cours, de son effet sur le passé et le futur de l’histoire. En fin de compte, deux choix s'offrent à lui: tenter de préserver l’intégralité linéaire ou s’ouvrir au fragmentaire pour en pousser les limites. En cette double possibilité, l’œuvre parle à la fois de perte et de gain, de sauvegarde et d’évolution du langage.